Saint Martin – Saint Tourmentin.
Il faisait frisquet ce matin au monument aux morts où nous
étions de moins en moins nombreux à écouter l’édile ânonner le discours du
Secrétaire d’Etat aux anciens combattants.
Plus d’anciens combattants de la grande guerre depuis
longtemps, quelques anciens ayant connu la dernière et peut-être la résistance
et quelques anciens de la guerre d’Algérie qui a toujours du mal à dire son
nom.
Enfin ce matin il y avait quand même un regain d’intérêt
pour certains, les municipales approchent…
Mais il faisait beau, très beau même, l’été de la Saint
Martin !
Les pigeons blottis au soleil sur le clocher nous ont proposé
un ballet aérien dans l'azur éclatant, motivés qu’ils furent par les
« boum boum » de la grosse caisse de
la fanfare. Ils quittèrent leur perchoir le temps des marches
militaires, pour y revenir au moment du vin d'honneur une fois les tambours
posés.
Vraiment une belle journée et pourtant la Saint Martin, au
nom volé dans le calendrier par l’armistice, c’est aussi la saint Tourmentin
comme disait mon père.
Autrefois à la Saint Martin, on payait tout ce qui était dû
depuis une année, les fermages, les travaux du maréchal ferrant, du charretier
et j’en passe.
Aujourd’hui, ne reste "que" les fermages à payer
au 11 novembre pour les vignerons dont je suis et qui ne sont pas propriétaires.
Et après deux années de récoltes misérables ce sera bien la Saint Tourmentin. Il y aura certes quelques propriétaires aimables et qui ne
sont pas dans le besoin pour faire un effort sur les délais de paiement, sur le
montant même, c'est très rare mais ça existe !
Quoi qu'il en soit il faudra trouver l'argent pour payer.
Deux années de misère disais-je, avec un printemps frais et
humide, un été qui ne peut plus rien faire pour rattraper ce qui est perdu et
puis enfin, un automne humide comme l'aiment les champignons.
Le mois de mai ne nous a pas donné les raisins que nous
espérions, ils étaient petits. Même si nous nous y attendions puisqu'ils
étaient nés dans les bourgeons au printemps 2012 qui ne fût pas beau ni chaud, le
froid excessif de juin les a de plus fait filer* en grand nombre. Enfin la pluie vint s'ajouter au froid au moment de la fleur
et la pollinisation se faisant mal, la coulure** vint encore entamer le
potentiel de récolte.
Au vu de ce printemps 2013, il y a de très fortes chances
pour que les raisins de 2014 cachés au cœur des bourgeons formés en juin
dernier ne soient pas non plus très gros ni très nombreux.
J'ai souvenir
aujourd'hui d'un éditorial fort maladroit dans Bourgogne Aujourd'hui, pointant du doigt le peu de volonté des vignerons de Bourgogne à ébourgeonner sévèrement
au printemps 2013. Qu'aurions-nous récolté si nous avions bêtement agit de la
sorte ?
La taille, l'ébourgeonnage, nous connaissons, c'est le cœur
de notre métier, il me serait agréable de ne pas recevoir de leçon des
journalistes quand je ne leur donne pas de leçon de rhétorique ni d'écriture.
Septembre dans ses premiers jours, nous apporta quelques réconforts
et sauva probablement un millésime bien mal engagé.
C'est souvent comme cela lorsque printemps et été font
défaut, septembre joue les Saint Barnabé.
Puis revint la pluie et quelles qu'aient été les dates retenues
par les vignerons, les vendanges ne furent pas une vraie partie de plaisir.
Chacun en conscience ayant fait son choix de vendanger tôt ou
d'attendre. Chacun ayant choisi selon les connaissances qu'il a de son vignoble,
de son travail, avec ce savoir faire qui lui est propre.
Au final la catastrophe fût évitée une fois encore,
l'intelligence et le travail ayant lutté de concert contre les hostilités venues
d'on ne sait où.
Dieu soit loué comme le poulet, nous aurons de quoi répondre
en partie au marché !
-Peu de vin, mais plutôt de qualité en attendant mieux - Après les trente glorieuses passées nous sommes sans doute dans un cycle moins favorable à la spirale formidablement qualitative que nous avons jusqu'ici vécue.
Ce soir, la bise souffle encore plus tranchante que ce matin
et moins que demain à moins qu'elle ne tienne pas. Le feu crépite dans le poêle à bois, la nature s’engourdi.
En fin de semaine la vente des Hospices de Beaune attirera les feux des médias, foules et
verres réchaufferont les cœurs, puis le Beaujolais nouveau annoncera
l’hiver prochain et nous irons aux
vignes tailler à nouveau chaque pied en espérant, comme nous l’avions fait l’an
dernier, que la nature se montrera plus généreuse en 2014.
Demigny, le 11 novembre 2013.
* Filer se dit des raisins qui au lieu
de se former en inflorescence se transforment en vrille.
**Coulure = mauvaise fécondation des
fleurs de vigne qui donnent des grains de petite taille (millerandage) ou qui
tombent au sol dès la fin de la floraison.
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